Guerres, mensonges et impostures: gros plan sur le Temps des troubles
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Le Temps des troubles est une période assez courte, mais ponctuée de cataclysmes, qui s’étend de 1605 à 1612. À cette époque, l’État russe était au bord de l’effondrement.
Comment a commencé le Temps des troubles?
L’une de causes premières était une crise du pouvoir étatique. Le tsar Ivan le Terrible avait déployé d’importants efforts pour créer un pouvoir illimité et concentré entre les seules mains du monarque. En particulier, il a divisé le territoire de la Russie en zemchtchina (pays commun) et opritchnina (réserve du souverain). Cette dernière était gouvernée par le tsar avec l’aide de sa garde personnelle - les opritchniki - qui s’est lancée dans des répressions massives et s’est illustrée par son extrême cruauté. Le peuple, ayant constaté les dérives liées à l’opritchnina, a perdu sa confiance dans le pouvoir. Cela a provoqué une profonde fracture sociale ; le régime était rejeté par presque toutes les couches de la population, des paysans en fuite aux artisans pauvres en passant par l’armée.
Une lutte politique interne a éclaté après la mort d’Ivan le Terrible en 1584, ce qui a aggravé la situation. Le tsar n’avait pas prévu de mécanisme clair de transfert du pouvoir en l’absence d’héritiers mâles. Son fils aîné Fiodor est mort à l’âge de 40 ans en 1598, et n’avait pas d’enfant. Les autres fils d’Ivan n’ont pas vécu assez longtemps pour monter sur le trône.
En outre, l’économie russe était exsangue. Les campagnes militaires d’Ivan le Terrible et la guerre de Livonie (un conflit militaire majeur qui pendant 25 ans a opposé la Russie, l’État polono-lituanien, la Suède et le Danemark) avaient épuisé les ressources matérielles du pays. La Grande Famine de 1600-1603 a éclaté : elle a détruit des milliers de grandes et petites exploitations agricoles dans toute la Russie, privant jusqu’à un demi-million de personnes de nourriture. S’étant retrouvés sans moyens de subsistance, les gens se sont tournés vers le vol et le pillage, ne faisant qu’accroître le chaos général.
Cette instabilité chronique a provoqué toute une chaîne d’événements funestes...
Le temps des imposteurs
Le Temps des troubles a provoqué l’apparition d’une cohorte de personnes prêtes à tout pour occuper le trône de Russie. Pendant la période de flottement autour de la succession au trône, au moins 18 imposteurs ont tenté de prendre les rênes du pays, mais aucun d’entre eux n’a réussi à se maintenir longtemps au pouvoir. Le plus célèbre d’entre eux était le premier imposteur, entré dans l’histoire sous le nom de Faux Dmitri Ier (nous avons raconté son histoire ici).
Son règne a débuté en 1605 et a duré moins d’un an. Faux Dmitri Ier, qui affirmait être un fils d’Ivan le Terrible qui aurait miraculeusement survécu, a obtenu le soutien du roi de Pologne et est entré à Moscou. Les boyards (l’élite politique et militaire du pays) l’ont reconnu comme le dirigeant légitime. Au début, des rumeurs selon lesquelles le nouveau tsar était un imposteur circulaient parmi l’élite, mais lorsque la mère du véritable tsarévitch assassiné l’a reconnu comme son propre fils, les positions du prétendant au trône se sont renforcées.
Un boyard issu d’une ancienne famille, Vassili Chouïski, a alors organisé un complot qui a débouché sur le meurtre de Faux Dmitri Ier. Une partie des boyards, des marchands et de l’armée l’ont rejoint et ont proclamé Chouïski tsar à l’issue d’une réunion du Zemski Sobor (Congrès de la Terre russe, un parlement rudimentaire réunissant des représentants de différentes classes).
Mais la lutte pour le pouvoir n’était pas terminée.
La première guerre civile
Les positions de Chouïski étaient malgré tout très fragiles. Une partie de l’élite voyait d’un mauvais œil qu’il soit désormais leur dirigeant : certains pensaient que Faux Dmitri Ier était toujours en vie et que lui seul était l’héritier légitime. Ils ont donc commencé à ourdir un soulèvement afin de destituer le nouveau tsar. Cela a débouché sur un siège de Moscou qui a duré quatre mois et s’est terminé par l’apparition d’un nouvel imposteur dans le village de Touchino, près de Moscou - Faux Dmitri II.
En fait, après la mort du premier imposteur, la première guerre civile a commencé en Russie. Il y avait deux centres de pouvoir – l’un à Moscou, avec le tsar Chouïski, l’autre à Touchino, avec le nouvel imposteur Faux Dmitri II et ses partisans. Ces derniers étaient soutenus par l’État polono-lituanien, qui a envoyé des mercenaires pour les soutenir.
Un coup d’État, et encore une guerre
Incapable de faire face au camp de Touchino, Chouïski a accepté de recevoir l’assistance militaire de la Suède. Le roi polonais Sigismond III a perçu cet accord comme un acte anti-polonais et l’a brandi comme prétexte pour attaquer la Russie.
Au cours de ce conflit, un coup d’État s’est produit ; les boyards ont destitué Chouïski. Le fils de Sigismond III, Ladislas IV Vasa, a prêté serment auprès gouvernement et des habitants de Moscou. Toutefois, tout cela a eu lieu à Vilnius : Vladislav ne s’est pas rendu à Moscou, il n’a pas été couronné et ne s’est jamais assis sur le trône.
Pendant cette période, il n’y avait pas de dirigeant légitime en Russie, le pays était au bord de la ruine et une guerre faisait rage sur son territoire. C’est dans ces conditions qu’est née l’idée de créer une armée de libération chargée de mettre fin à l’invasion polonaise et aux troubles.
Comment les troubles se sont terminés
En 1611, la première milice chargée de lutter contre les envahisseurs étrangers fut créée par le gouverneur de Riazan, Prokopi Liapounov. Mais une scission a éclaté au sein de l’armée : les Polonais en ont profité pour éliminer Liapounov et d’autres chefs de la milice de l’intérieur.
La deuxième milice était plus unie. La même année, les habitants de Nijni Novgorod, sous la direction de l’échevin de la ville Kouzma Minine, ont collecté des fonds pour créer une nouvelle milice et appelé les habitants de tout le pays à rejoindre ses rangs. Mais Minine n’avait aucune expérience militaire, et il ne pouvait pas commander des nobles en raison de son statut (il était boucher de profession). Par conséquent, il a invité le prince et commandant chevronné Dmitri Pojarski à diriger la milice.
La tentative a porté ses fruits. En août 1612, leur armée a battu les Polonais près de Moscou et en octobre, une deuxième milice a libéré la capitale de l’occupation.
Cela a constitué un tournant. Les Polonais ont signé un pacte de capitulation. Après la libération de la capitale, le Zemski Sobor a organisé l’élection d’un nouveau tsar. Au terme de houleuses discussions, le choix s’est porté sur un représentant d’une autre famille noble, Mikhaïl Romanov. Ce dernier avait également des liens familiaux avec la dynastie des Riourikides qui régnait avant le Temps des troubles. Au moment de son élection, il n’avait que 16 ans. En fait, il constituait une figure de compromis qui arrangeait tous les clans. C’est ainsi qu’a débuté le pouvoir d’une dynastie que seuls les bolcheviks parviendraient à faire tomber en 1917.
Conséquences
Le Temps des troubles a débouché sur des pertes territoriales considérables pour la Russie : Smolensk est restée sous le contrôle de l’Union polono-lituanienne, tandis qu’une partie importante de la Carélie, ainsi que l’accès à la mer Baltique par le golfe de Finlande, sont revenus aux Suédois. Pierre Ier est parvenu à récupérer l’accès à la mer un siècle plus tard, après quoi, en 1703, il a fondé Saint-Pétersbourg dans cette région.
Le pays s’est enlisé dans une profonde crise économique et alimentaire : la superficie des terres cultivables a été divisée par 15 et le nombre de paysans par quatre. Dans de nombreuses régions du pays, la densité de population est restée pendant de nombreuses années nettement inférieure au niveau observé un siècle plus tôt.
Il a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour surmonter les conséquences du Temps des troubles. Le nouveau tsar est toutefois parvenu à sortir le pays de la crise systémique en rétablissant progressivement le système financier, les relations internationales et l’ordre dans les régions. À sa mort en 1645, il a laissé à son fils Alexis Ier un État qui non seulement avait surmonté le chaos, mais connaissait en outre un vigoureux développement dynamique.
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