Le tableau La Princesse Tarakanova de Flavitski expliqué
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Chaque écolier russe qui réalise une visite guidée de la galerie Tretiakov de Moscou est invité à commenter ce qui se passe sur ce tableau : pourquoi une jeune femme subit-elle une inondation sans chercher à s’échapper ? Les plus attentifs remarqueront les souris qui grimpent sur son lit, l’eau qui atteint le niveau du lit et se déverse dans la chambre par la fenêtre, ainsi que les barreaux sur la fenêtre.
La femme présente sur la toile est Elizaveta Vladimirskaïa alias la princesse Tarakanova, l’un des imposteurs les plus célèbres de l’histoire russe. Elle revendiquait le trône de Russie ! Elle est morte dans la prison de la forteresse Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg, mais pas de façon aussi dramatique que dans le tableau. Mais commençons par le commencement…
Qui était la princesse Tarakanova ?
Bien que l’impératrice Élisabeth Ire (fille de Pierre le Grand) n’ait pas été mariée officiellement et n’ait pas eu d’enfants, il se murmure qu’elle avait conclu une union secrète avec son favori, Alexeï Razoumovski (en savoir plus ici). Et la légende veut qu’ils aient eu une fille secrète. Cependant, aucune preuve historique ne l’atteste.
Après Élisabeth, le neveu de cette dernière, Pierre III, est devenu empereur, mais peu après, sa femme Catherine (qui deviendra Catherine la Grande) a réalisé un coup d’État et s’est emparée du trône de Russie après la mort mystérieuse de Pierre III (selon des rumeurs persistantes, Catherine l’a très probablement fait assassiner). Durant le règne de Catherine, de nombreux hommes ont affirmé être Pierre III, qui aurait miraculeusement survécu au coup d’État. L’un des plus célèbres était Emelian Pougatchev, qui a dirigé le soulèvement souvent appelée « guerre des Paysans » (1773-1775).
Une autre aventuriste ayant tenté de prendre la couronne de Russie était Elizaveta Vladimirskaïa, qui affirmait être la fille secrète de l’impératrice Éliqabeth, et donc l’héritière légitime du trône.
À la recherche de soutiens en Europe
En fait, elle s’appelait Elizaveta et ne se présentait pas comme la princesse Tarakanova, qui est un nom assez ridicule (« tarakan » se traduit du russe par un cafard et il est très peu probable qu’une femme noble portât un tel nom de famille). Elle a été surnommée ainsi par le diplomate et écrivain français nommé Jean Henri Castéra, qui a mentionné son histoire dans un ouvrage consacré à Catherine la Grande.
Elle racontait très probablement à tout le monde différentes histoires sur ses origines et on ne sait pas laquelle de ces versions est vraie. Elle parlait plusieurs langues (mais pas le russe) et avait des manières parfaites. C’était vraisemblablement une femme venue d’Europe (française, allemande ou italienne).
Elizaveta recherchait toujours l’argent et courait à travers l’Europe pour fuir ses créanciers. Un jour, elle a même répandu une rumeur selon laquelle un important héritage l’attendait en Russie.
Prétentions au trône de Russie
En 1774, elle a commencé à répandre une rumeur selon laquelle elle était la fille secrète de l’impératrice Élisabeth et a annoncé avoir des revendications légitimes sur le trône de Russie. Tarakanova a commencé à rassembler des soutiens en Europe, affirmant qu’elle avait beaucoup de sympathisants en Russie (ce qui n’était pas vrai). Elle prévoyait même d’entrer en contact avec le roi de Prusse Frédéric II et le roi de Pologne Stanislas II pour les rallier à sa cause, ce qui ne s’est toutefois jamais produit.
Tarakanova a commencé à dépêcher à de nombreuses personnes à travers l’Europe pour annoncer qu’elle voulait devenir impératrice de Russie avec le soutien de Pougatchev. Alexeï Orlov, un comte russe dévoué à Catherine la Grande, a reçu la copie de ce manifeste. À cette époque, il était commandant de la marine russe en Europe.
Orlov a correspondu avec Catherine la Grande au sujet de l’imposteuse et, avec la permission de l’impératrice, il s’est chargé d’attirer Tarakanova en Russie. Orlov a fait croire à Tarakanova qu’il lui était fidèle (et même qu’il était épris d’elle et voulait l’épouser) afin de la duper pour qu’elle monte à bord d’un navire en partance pour la Russie.
Arrestation et extradition en Russie
Orlov a invité l’usurpatrice à Livourne, en Italie, pour qu’elle jette un œil à la flotte russe qu’il commandait. Les marins lui ont chanté des louanges et lui ont souhaité la bienvenue à bord d’un des navires… où elle a été immédiatement arrêtée. Au début, elle ne s’est pas rendu compte qu’Orlov était impliqué dans l’opération : elle a continué à lui envoyer des lettres d’amour et à demander de l’aide.
À Pétersbourg, elle est immédiatement emprisonnée dans la forteresse Pierre-et-Paul, où étaient détenus des prisonniers politiques. Au cours des enquêtes et des interrogatoires, elle n’a cessé d’insister sur ses origines impériales et a même sollicité une rencontre avec Catherine la Grande.
Les enquêteurs ont tenté de découvrir sa véritable identité et ont même suggéré de lui accorder la grâce si elle racontait la vérité. Toutefois, Tarakanova n’a jamais révélé qui elle était vraiment et elle est décédée en décembre 1775.
Alors que les imposteurs comme Tarakanova étaient considérés comme des criminels par les autorités, la culture de masse s’intéressait à leur personnalité et avait parfois de la sympathie à leur égard. Alexandre Pouchkine a évoqué Pougatchev dans son roman La Fille du capitaine, tandis que Tarakanova a été immortalisée par le peintre Konstantin Flavitski.
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En réalité, Tarakanova est décédée de la tuberculose ; mais, au fil du temps, de nombreuses légendes entourant sa mort ont commencé à apparaître. L’une d’entre elles a inspiré Flavitski : la rumeur en question affirmait qu’elle avait été noyée de façon dramatique dans sa cellule située en sous-sol lors d’une inondation (cette inondation s’est réellement produite, mais deux ans après sa mort). Ironie du sort, le peintre lui-même est mort de la tuberculose.
Sa peinture l’a rendu célèbre et a été saluée par les cercles artistiques, qui admiraient en particulier la pose dramatique et les expressions faciales du personnage. La Princesse Tarakanova a été la première toile historique de la collection de Pavel Tretiakov, fondateur de la galerie Tretiakov, et de nombreuses autres suivraient. Le célèbre collectionneur a apprécié que Flavitski s’intéresse à un sujet lié à l’histoire russe et sa contribution aux beaux-arts du pays.
En 1867, La Princesse Tarkanova a été exposée à l’Exposition universelle de Paris. Cependant, l’empereur Alexandre II a ordonné qu’une note soit ajoutée dans le catalogue l’accompagnant indiquant que « l’intrigue a été empruntée à un roman et ne contient aucune vérité historique ».
De nombreux romans ont été écrits sur la base de cette intrigue fascinante. En 1990, le film soviétique La Chasse royale, racontant l’histoire de Tarakanova, est sorti.
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