En images: Dmitrov, condensé d’histoire de la Russie
Suivez Russia Beyond sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) mit au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il fit de monuments architecturaux à travers toute la Russie.
Un excellent exemple de son travail est la petite ville de Mojaïsk que Sergueï Prokoudine-Gorski visita à l’été 1911 dans le cadre d’un projet sur la Campagne de Russie de 1812. Il fut ébloui par le riche décor de l’église Saint-Nicolas, située sur le point le plus haut de la ville, dans l’ancien Kremlin.
Dmitrov est une autre ville de la région de Moscou qui a su préserver son patrimoine historique, dont médiéval.
Origines de Dmitrov
Des fouilles archéologiques menées près du kremlin de Dmitrov ont mis en évidence des traces de peuplement préhistorique. Le talus circulaire en terre, bien conservé jusqu’à nos jours, date du XIIe siècle. Il soutenait un rempart en bois ponctué de plusieurs tours et deux grands portails.
Il est d’usage de considérer que Dmitrov fut fondée en 1154 par Iouri Dolgorouki, qui reste associé à la première mention de Moscou dans les chroniques sous l’année 1147. Le prince choisit le nom de Dmitrov pour remercier Dieu de lui avoir donné un fils, Vsevolod, baptisé sous le nom de Dmitri pour rendre hommage à Démétrios de Thessalonique, un saint très révéré dans la Russie médiévale.
Située à soixante-cinq kilomètres au nord de Moscou, Dmitrov est reliée à la Volga par la rivière Iakhroma, qui traverse aujourd’hui la ville, puis la Sestra et enfin la Doubna. Au moment de sa fondation, Dmitrov se trouvait à un carrefour important. Elle était sur la route qui menait du sud vers les forêts du Nord. À l’est s’étendait la principauté de Vladimir à laquelle elle servait d’avant-poste fortifié.
Deux siècles d’instabilité
Durant les deux premiers siècles de son histoire, Dmitrov subit les contrecoups des changements constants des frontières des principautés et des allégeances à prêter en conséquence. La population de sa région commençait à peine à se reconstituer après l’invasion mongole de l’hiver 1237-1238, qui n’avait épargné ni Vladimir, ni Moscou, qu’elle subit en 1294 l’expédition punitive de Tudan un des frères du khan de la Horde d’Or. Elle fut facilitée par la dissension qui régnait entre les princes russes.
Dans l’ombre de Moscou
De la fin du XIIIe au début du XIVe siècle, Dmitrov fut brièvement la capitale d’une petite principauté, dans l’orbite de celle de Moscou. En 1364, elle fut formellement annexée par sa puissante voisine. En 1382, Dmitrov fut une nouvelle fois dévastée lors du raid que le khan Tokhtamych mena en réponse à la victoire du grand-prince de Moscou Dmitri à Koulikovo, deux ans plus tôt.
En 1408, Dmitrov subit l’assaut destructeur des Tatars d’Ediguey, qui avait vaincu Tokhtamych en 1406 et fonda la dynastie Nogaï. Si elle offrait d’intéressantes perspectives à Moscou, la fragmentation de la Horde d’Or fut un processus éprouvant pour la Russie du début du XVe siècle.
>>> Blagovechtchensk: une des ancres de la Russie sur le fleuve Amour
Puissance commerciale
La puissance commerciale de Dmitrov atteignit son apogée durant le premier tiers du XVIe siècle, sous le règne du prince Iouri Ivanovitch, le deuxième fils du grand-prince de Moscou Ivan III. La ville jouait alors un rôle de pivot sur l’axe commercial entre le Nord et la mer Caspienne. Les marchands de Dmitrov approvisionnaient les villes du Nord en céréales cultivées dans le sud et fournissaient à Moscou le sel produit et les fourrures des animaux chassés dans les régions septentrionales.
Le prince Iouri encouragea la construction, qui débuta en 1509, d’une grande église consacrée à la Dormition à l’intérieur du Kremlin. Ses murs de brique reposent sur des fondations en calcaire et sont blanchis à la chaux. De ce point de vue, elle ressemble à l’église de l’Archange-Saint-Michel du Kremlin de Moscou. Le bâtiment est couronné de cinq coupoles. On accordera une attention toute particulière à la céramique du XVIe siècle représentant la crucifixion qui orne le pignon central de la façade sud de l’église de la Dormition.
Architecture sacrée
La construction de l’église de la Dormition fut achevée en 1533. L’édifice subit ensuite de nombreuses modifications. Les pignons du toit furent redressés, des chapelles annexes et un narthex lui furent adjoints aux XVIIIe et XIXe siècles. L’intérieur, où l’on voit que l’église repose sur quatre piliers de pierre, fut restauré. De même que l’impressionnante iconostase.
Dans les années 1530 également fut terminée la construction d’une imposante église en pierre dans le monastère des Saints-Boris-et-Gleb, dont la première mention remonte à 1462. Même si elle n’a qu’une seule coupole, l’église dédiée aux deux saints rappelle fortement celle de la Dormition.
La ligne originelle du toit de l’église, qui épouse les contours des pignons semi-circulaires, a heureusement été conservée jusqu’à nos jours. Au début du XVIIe siècle, plusieurs bâtiments en brique furent construits dans l’enceinte du monastère. Rendue à l’Église orthodoxe dans les années 1990, cette fondation est aujourd’hui un centre religieux important.
Règne d’Ivan le Terrible
La forte activité économique qui faisait la prospérité de Dmitrov depuis le début du XVIe siècle connut un brusque coup d’arrêt durant la dernière partie chaotique du règne d’Ivan le Terrible. Le prince de Dmitrov était alors Vladimir Andreïevitch Staritsky, un des petits-fils d’Ivan III.
L’attitude qu’avait le tsar à l’égard de son cousin oscillait entre faveur et suspicion. Accusé par des intrigants à la cour d’avoir voulu empoisonner Ivan IV, Vladimir le fut lui-même en 1569 . Plusieurs de ses parents furent également mis à mort. Le tsar le fit toutefois inhumé en l’église de l’Archange-Saint-Michel du Kremlin de Moscou.
Dmitrov fut alors rattachée à l’opritchnina, ces terres de la grande-principauté de Moscou qu’Ivan le Terrible s’était réservées. Dmitrov subit de plein fouet les conséquences négatives pour le commerce des désordres politiques et sociaux de la fin du XVIe siècle. Après la mort d’Ivan IV, durant le règne de son fils Fiodor, le dernier représentant de la dynastie riourikide, Dmitrov sut quelque peu rétablir sa situation économique.
>>> Tcherdyne: dans l’ombre des Romanov
Temps des Troubles
Dmitrov connut de nouvelles tribulations au début du XVIIe siècle, à la mort du tsar Boris Godounov, lorsque la Russie fut plongée dans une période d’interrègne destructive qui reste connue comme le Temps des Troubles. La lutte pour le trône de Moscou entre des factions concurrentes n’engendra que destruction. Dmitrov, comme de nombreuses autres villes de Russie, ne fut pas épargnée.
En janvier 1610, Dmitrov fut prise par les troupes de Jan Piotr Sapieha, un des commandants des forces polono-lituaniennes qui soutenaient différents prétendants au trône de Moscovie. Jan Sapieha ordonna de mettre le feu aux remparts en bois qui reposaient sur un talus en terre. Un mois plus tard, il fut défait dans les environs et contraint d’abandonner Dmitrov. Ce fut loin d’être le dernier épisode de désolation que connut la ville.
Des premiers Romanov à Napoléon Ier
Après l’établissement de la dynastie Romanov en 1613 et le retour à un semblant d’ordre à la fin de la décennie, Dmitrov n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle se releva progressivement durant le XVIIe siècle pour devenir le centre commercial et administratif de la région.
Plusieurs églises en brique furent construites à Dmitrov au cours du XVIIIe siècle. Comme beaucoup d’autres villes du pays, son plan fut redessiné en 1784 dans le cadre de la politique d’urbanisme menée sous le règne de Catherine II.
Durant la Campagne de Russie, du fait de sa proximité avec Moscou, Dmitrov se trouva dans la zone des combats. Le maréchal Koutouzov confia le commandement de la région située au nord de Moscou au général de cavalerie Ferdinand von Wintzingerode.
Le 29 septembre, un important détachement de troupes françaises placé sous le commandement du général Alexis Delzons prit Dmitrov et en mit le centre à sac (le général Delzons périt moins d’un mois plus tard lors de la bataille de Maloiaroslavets qui s’acheva par une victoire russe décisive pendant la Retraite).
Dmitrov fut sauvée par l’avancée des troupes du général Wintzingerode à partir de Kline (plus à l’ouest) : les Français se retirèrent précipitamment de la ville le 1er octobre et les Russes purent récupérer le butin que leurs ennemis voulaient emporter avec eux. En signe de reconnaissance, les commerçants de Dmitrov finançèrent la construction de l’église de la Purification, qui fut achevée en 1814 et fit l’objet d’une restauration très réussie au début du XXIe siècle.
>>> Oustioujna, cœur toujours battant de l’art des Stroganov
Époque soviétique
Bien que le centre de Dmitrov ait été reconstruit à la période soviétique, on y trouve encore plusieurs maisons en bois de la fin du XIXe et du XXe siècles qui méritent l’attention. Parmi elles, celle de Mikhaïl Olsoufiev où le géographe et figure illustre du mouvement anarchiste Pierre Kropotkine (1842-1921) passa les dernières années de sa vie.
Après l’instauration du pouvoir soviétique, Dmitrov demeura le petit centre régional qu’elle était dans l’ombre de Moscou. Mais, au début des années 1930, elle fut placée au cœur d’un des projets les plus importants du premier plan quinquennal : celui de la construction, décidée par le Comité Central en 1931, d’un canal reliant la Volga à la Moskova pour alimenter la capitale en eau.
En 1932, il fut prévu que le tracé du canal inclurait le morceau de la rivière Iakhroma qui traversait Dmitrov. Pour réduire le coût de réalisation de ce projet, il fut décidé de recourir à une main-d’œuvre de prisonniers.
Héritage du goulag
La direction du projet fut confiée à Genrikh Iagoda, chef du NKVD (police politique). Cinq ans durant, des centaines de milliers de prisonniers du goulag creusèrent le canal sous la surveillance des gardiens du Dmitrovlag (camp de Dmitrov), dont l’administration avait été installée dans l’ancien monastère des Saints-Boris-et-Gleb.
Le sinistre drame de la construction du canal se poursuivit à l’automne 1941, durant la bataille de Moscou. Vers la fin du mois de novembre, les forces allemandes tentèrent de traverser le canal dans la région de Dmitrov dans le cadre d’une opération qui visait à encercler la capitale. Le 11 décembre 1941, toute la région de Dmitrov fut libérée, ce qu’il faut considérer comme l’une des premières étapes de la victoire sur la Wehrmacht engagée sur le front de l’Est.
Aujourd’hui, la population de Dmitrov s’établit à environ soixante-quatre mille habitants. C’est un centre régional prospère, aux portes de Moscou, dont la croissance est régulière. D’un accès facile par la route et par le train, cette petite ville attrayante et hospitalière a su préserver son patrimoine historique et culturel – en premier lieu, le kremlin et la cathédrale – qui ont une importance majeure dans l’histoire de la Russie.
*Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Tioumen, un avant-poste sibérien devenu grand centre énergétique.
Chers lecteurs,
Notre site web et nos comptes sur les réseaux sociaux sont menacés de restriction ou d'interdiction, en raison des circonstances actuelles. Par conséquent, afin de rester informés de nos derniers contenus, il vous est possible de :
- Vous abonner à notre canal Telegram
- Vous abonner à notre newsletter hebdomadaire par courriel
- Activer les notifications sur notre site web