Blagovechtchensk: une des ancres de la Russie sur le fleuve Amour
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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*.
Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissances est particulièrement bien incarnée dans les nombreuses photographies qu’il a faites de monuments architecturaux à travers toute la Russie.
Église Saint-Nicolas de Mojaïsk
Un exemple parfait du travail de Sergueï Prokoudine-Gorski reste son séjour dans la petite ville de Mojaïsk. Il l’a visitée à l’été 1911 dans le cadre de son projet consacré à la Campagne de Russie de 1812.
Il a été particulièrement ébloui par le riche décor de l’église Saint-Nicolas située sur le point le plus haut de la ville, dans l’ancien kremlin.
La construction de la nouvelle église Saint-Nicolas a commencé à la fin du XVIIIe siècle et a abouti au début du suivant. Le style néogothique exubérant était apprécié de Catherine la Grande et s’est diffusé dans l’Empire à partir de la fin du XVIIIe siècle.
L’église de Mojaïsk a été conçue par Alexeï Bakarev, élève de l’architecte renommé Matveï Kazakov qui a construit une grande partie des bâtiments néogothiques de Tsaritsyno, palais impérial de Catherine alors situé au sud de Moscou.
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Le style néogothique atteint l’Extrême-Orient
Bien qu’il ait commencé à décliner au milieu du XIXe siècle, le style néogothique n’a jamais disparu et a été souvent choisi par des entrepreneurs aisés qui se faisaient construire des manoirs. Il est resté bien représenté, surtout de la région de Moscou.
En fait, grâce à l’intérêt durable qui lui a été porté, ce style s’est répandu jusqu’aux confins de l’Empire. Les halles Mauritanie, vivement colorées, qui se trouvent au centre de la ville de Blagovechtchensk, située sur le fleuve Amour à environ 8 000 km à l’est de Moscou, en sont un bel exemple.
Blagovechtchensk n’est pas l’une des destinations de l’Extrême-Orient russe les plus courues, à la différence de Khabarovsk et de Vladivostok. Néanmoins, depuis les années 1850, elle maintient ancrées les positions de la Russie sur le fleuve Amour, connu en chinois sous le nom de Heilongjiang (rivière du dragon noir), et la Mandchourie voisine.
Conflit avec les Chinois
Des cosaques et des explorateurs russes ont essayé de prendre le contrôle de la rive nord (gauche) de l’Amour dès les années 1640. Pourtant, à la suite du siège prolongé du fort d’Albazino, sur l’Amour, par des forces mandchoues en 1685-1686, le traité de Nertchinsk (1689) a obligé la Russie à abandonner les terres situées au nord de l’Amour et à se retirer à l’ouest de la rivière Argoun, qui se jette dans la Chilka. De leur confluence naît l’Amour.
Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que des forces russes considérables, sous le commandement du gouverneur général Nikolaï Mouraviov, ont fait la conquête de cette région. Cette campagne victorieuse a valu au général le surnom d’Amourski. La Chine, affaiblie par la révolte des Taiping et la seconde guerre de l’opium, a dû reconnaître la présence russe par le traité d’Aïgoun (1858), par lequel des terres arables du nord de l’Amour ont été cédées à la Russie.
Naissance de Blagovechtchensk
La ville de Blagovechtchensk (du mot russe Annonciation) a été fondée la même année près de l’endroit où la rivière Zeïa se jette dans l’Amour. Le commerce actif et le transport fluvial important sur l’Amour et ses affluents de rive gauche ont favorisé le développement de la ville. En 1897, pendant la révolte des Boxers, la ville comptait 33 000 habitants, dont les représentants d’une forte communauté chinoise. À l’été 1900, des insurgés chinois ont bombardé la ville depuis l’autre côté du fleuve Amour. Par crainte de troubles, les autorités russes ont expulsé les habitants chinois de Blagovechtchensk.
Bien qu’éloignée du Transsibérien (un tronçon de 110 km pour relier la ville à la ligne principale n’a été achevé qu’en 1915), Blagovechtchensk s’est épanouie au début du ХХe siècle, non seulement grâce au commerce, mais aussi aux terres agricoles fertiles environnantes et à la présence de gisements d’or qui ont provoqué une Ruée vers l’or dans la région (le bâtiment de l’essayeur d’or se trouve encore au centre de la ville).
Avant-poste de commerce animé
D’imposants édifices, dont des grands magasins, des emplacements de commerce et des minoteries, témoignent aujourd’hui encore de la prospérité de la ville au tournant du XXe siècle. Le bâtiment le plus coloré est celui des halles Mauritanie construites en 1907 sur la rive de l’Amour.
Les docks de la ville accueillaient les bateaux à vapeur et leurs cargaisons de farine, de viande, de fruits et de légumes, qui étaient ensuite transformés et vendus dans les halles. Il est important de noter qu’il y avait à Blagovechtchensk une présence commerciale américaine, notamment celle de l’American Lane dans le quartier commerçant du centre. Ces entreprises vendaient du matériel agricole dans une région où la production céréalière était en expansion.
Essor au ХХe siècle et guerres à répétition
Parmi les nombreux bâtiments dont la construction au début du XXe siècle a modifié l’apparence de Blagovechtchensk, on peut citer des établissements d’enseignement à la fois pour les filles et pour les garçons. Leur taille rivalisait avec celle des écoles américaines : le lycée de filles est un édifice particulièrement imposant.
Blagovechtchensk a également abrité des lieux de culte de nombreuses confessions, parmi lesquelles l’Église orthodoxe russe, l’Église catholique romaine, ainsi que des Moloques (secte de chrétiens piétistes) et le judaïsme. Nombre de ces sanctuaires ont été fermés pendant la période soviétique ; un certain nombre d’entre eux a été rouvert, après avoir parfois été attribués à l’Église orthodoxe.
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Selon les résultats du recensement de 1913, la population de Blagovechtchensk était de 70 000 habitants, soit près de deux fois plus qu’en 1897. La violence de la guerre civile russe, qui a fait rage en Sibérie jusqu’en 1921, a porté un coup très rude à l’expansion et la prospérité de la ville. Jusqu’en 1920, Blagovechtchensk se trouvait sous le contrôle de l’Armée blanche, soutenue par un contingent d’occupation japonais. En 1920, elle a été intégrée à la République d’Extrême-Orient, indépendante nominalement, mais alliée avec la République soviétique de Russie. Elle servait aussi de refuge entre le Japon et la Russie à ceux qui voulaient quitter la Russie soviétique. Après le retrait des Japonais en 1922, la République d’Extrême-Orient est devenue une partie de la RSFSR. Les tensions dans la région se sont à nouveau exacerbées à l’automne 1931, lorsque le Japon a envahi la Mandchourie.
La situation est restée particulièrement éprouvante jusqu’à la capitulation du Japon, qui marque la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Alliance d’ancien et de moderne
Capitale administrative de la région de l’Amour (depuis 1932), la ville de Blagovechtchensk, dont la population est aujourd’hui d’environ 240 000 habitants, occupe encore une position stratégique dans l’Extrême-Orient russe. Elle forme une zone de libre-échange avec la ville chinoise de Heihe, en croissance rapide, située sur l’autre rive du fleuve Amour. Blagovechtchensk dispose d’un potentiel considérable pour développer sa coopération économique avec la Chine, tant à un niveau régional que national. Elle joue notamment un rôle majeur dans l’exportation des ressources énergétiques russes vers la Chine.
En même temps, Blagovechtchensk a réussi à préserver la plupart de son patrimoine architectural datant d’un siècle, une époque où la jeune ville dynamique, pleine d’espoir et de foi, regardait vers l’avenir. En plus d’imposants bâtiments commerciaux, plusieurs maisons anciennes, en brique et en bois, ont conservé leurs éléments décoratifs.
Un grand musée de l’Histoire locale, fondé en 1981, met en valeur l’héritage culturel de la ville. En 1981, ce musée a ouvert dans un des premiers bâtiments en brique, construit à la fin du XIXe siècle pour le réseau de grands magasins Kunst et Albers, deux entrepreneurs allemands qui cherchaient à développer le commerce dans de nouveaux territoires de l’Extrême-Orient russe.
Il est aussi à noter que l’illustre écrivain Anton Tchekhov a visité Blagovechtchensk à la fin du mois de juin 1890, alors qu’il était en route pour l’île de Sakhaline. Il a décrit la ville avec enthousiasme : « Je suis amoureux du fleuve Amour et j’y vivrais avec plaisir pendant deux ans. C’est beau, spacieux, libre et chaleureux ».
*Au début du XXe siècle, le chimiste russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Il consistait en une triple exposition sur une plaque de verre. Entre 1903 et 1916, il parcourut l’Empire russe et prit plus de deux mille clichés. En août 1918, il quitta la Russie et s’établit en France. Il y retrouva une grande partie de sa collection de négatifs sur glace et treize albums de tirages contact. Après sa mort à Paris en 1944, ses héritiers vendirent sa collection à la Bibliothèque du Congrès. Au début des années 2000, la Bibliothèque numérisa la collection Prokoudine-Gorski et la rendit accessible en ligne gratuitement. Plusieurs sites internet russes la présentent également. En 1986, l’historien de l’architecture et photographe William Brumfield organisa à la Bibliothèque du Congrès la première exposition consacrée aux photographies de Sergueï Prokoudine-Gorski. Lors de ses séjours en Russie depuis 1970, William Brumfield marcha sur les traces de Sergueï Prokoudine-Gorski et visita les mêmes sites que lui. Dans cette série d’articles sont juxtaposés les clichés de monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.
Dans cet autre article, William Brumfield vous emmène à la découverte de Chouchenskoïé, le village sibérien où Lénine a été exilé.
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