Les animaux de l’Arctique russe ont-ils une chance de survivre au changement climatique?
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La Russie se réchauffe 2,5 fois plus vite que les autres régions de notre planète, ce qui entraîne la fonte du pergélisol, ainsi qu'une augmentation de la fréquence des feux de forêt, des inondations et des vagues de chaleur selon le Centre de recherche hydrométéorologique de Russie. Les Russes commencent à ressentir les effets du changement climatique sur leur santé et leur bien-être. Cependant, les animaux qui parcourent les vastes territoires du pays souffrent depuis un certain temps déjà, notamment dans l'Arctique, qui se réchauffe encore plus vite.
Une capacité d’adaptation dépassée
Le schéma général de l'impact est que les habitats changent plus vite que les espèces ne peuvent s'adapter à ces changements, explique Pavel Koulemeïev, chercheur au parc national de l'île Wrangel. Les espèces qui se sont adaptées pour survivre dans des conditions très spécifiques et limitées ne peuvent supporter de grandes fluctuations des conditions environnementales (les espèces sténobiontes, si l'on parle en termes scientifiques) et ne seront donc pas en mesure de s'adapter à des conditions environnementales qui changent à un rythme aussi rapide.
En outre, il est important de comprendre que le changement climatique n'affecte pas un organisme individuel, mais l'ensemble de l'écosystème, c'est-à-dire que les effets des changements peuvent être indirects, par exemple en perturbant la source de nourriture de l'animal.
Pas assez de glace pour les ours polaires et les morses
« En raison du réchauffement de la planète, de nombreuses espèces se retirent plus au nord. Dans cette situation, les animaux de la toundra et des régions polaires n'ont pas vraiment d'endroit plus au nord où se retirer. Le premier à le ressentir est l'ours polaire, qui chasse les phoques sur la banquise. La superficie de la banquise diminue, le nombre de phoques diminue également, et les ours souffrent – ils sont au sommet de la chaîne trophique. En général, les grands prédateurs sont parmi les animaux les plus vulnérables », explique Boris Cheftel, chercheur principal à l'Institut Severtsov d'écologie et d'évolution de l'Académie des sciences de Russie.
En effet, beaucoup d'entre nous ont vu la vidéo déchirante d'un ours polaire sur le point de mourir de faim, parcourant un paysage stérile et sans glace dans une dernière tentative désespérée de trouver de la nourriture.
Ce n'est même pas tant la quantité de glace qui reste pendant les mois d'été que la vitesse à laquelle la glace se retire vers le pôle Nord qui pose problème. « Si elle se retire trop rapidement, les ours n'ont tout simplement pas le temps de réaliser que c'est là qu'ils doivent aller et ils s'échouent sur le rivage ou, pire encore, sur une île », explique le docteur Alexeï Kokorine, responsable du programme sur le climat et l'énergie chez WWF Russie.
En outre, en raison de l'évolution de la couverture glaciaire, les ours sont privés de lieux de repos et sont contraints de dépenser plus d'énergie pour chasser. Les femelles enceintes doivent quant à elles parcourir de plus longues distances pour rejoindre leur tanière. Lors des dégels, un changement de température dans cette dernière peut se produire, ce qui peut pousser une mère ourse avec ses petits à quitter leur abri prématurément, et entraîner la mort des oursons par hypothermie.
De leur côté, les morses trouvent également très inconfortable la diminution de la quantité de glace, en particulier celle qui est attachée à la terre où ils se reposent normalement. C'est pourquoi ils commencent à changer l'emplacement de leurs colonies, ce qui signifie qu'il leur est plus difficile de trouver de la nourriture et qu'il est plus facile pour les ours polaires d'attaquer leurs petits.
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Ours vs humains : risque de conflit
Non seulement les ours sont privés de leur principale source de nourriture lorsqu'ils s'échouent sur la terre ferme, mais cela entraîne également une menace très réelle et sérieuse de conflit entre l'homme et la faune sauvage. Lorsque les ours ne peuvent chasser sur la glace de mer, ils se tournent vers la terre, affamés. Or, c'est sur la terre ferme que vivent les hommes. Kokorine se souvient d'un incident survenu en 2019 sur l’archipel arctique de la Nouvelle-Zemble, lorsque plus de 50 ours se sont présentés dans une colonie militaire parce qu'ils n'avaient tout simplement nulle part d’autre où aller.
Dans ces cas, les ours polaires « chassent » principalement les déchets alimentaires jetés par les humains, mais dans des cas plus extrêmes, ils s’attaquent aux chiens et aux humains eux-mêmes. Cette situation présente un risque direct pour l'ours, susceptible d'être abattu par l'homme, et pour l'homme lui-même, qui peut être mangé par cet imposant prédateur. Ces incidents sont devenus de plus en plus fréquents au cours des 15 dernières années. Heureusement, il existe dans la plupart des zones arctiques de la Russie des « patrouilles d'ours » spécialement mobilisées afin de repousser ces animaux et éviter les confrontations. Koulemeïev souligne par ailleurs que, compte tenu du rythme croissant du développement de l'Arctique, ces événements deviendront plus fréquents et que, en règle générale, ce sont les hommes eux-mêmes qui provoquent l'attaque des animaux en violant les règles de sécurité existantes.
Mort prématurée des bébés phoques en mer Blanche
Les phoques de la mer Blanche sont également confrontés à une grave menace. Les petits naissent généralement en avril, une période où, normalement, il y a encore de la glace et il ne pleut pas. Toutefois, dorénavant, la glace fond et les pluies arrivent plus tôt qu’auparavant. Le premier mois de la vie des petits est crucial et, bien qu'ils naissent avec une fourrure suffisamment épaisse pour résister au froid, elle n'est pas encore imperméable. Ainsi, lorsqu'il pleut, ils tombent en hypothermie et meurent. La mort massive des bébés phoques étant de plus en plus fréquente, le risque d'effondrement de la population est beaucoup plus élevé.
Avant le changement climatique, les braconniers constituaient un problème majeur. Ce souci a cependant été réglé grâce à une baisse de la demande de coiffes en fourrure blanche. De plus, des navires passaient devant leur habitat, mais les autorités d'Arkhangelsk ont arrêté le trafic maritime autour des lieux où vivent les phoques et leurs petits.
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L'herbe des rennes arctiques ensevelie sous la glace
En décembre 2020, les pluies hivernales ont été suivies de longues périodes de temps extrêmement froid sur la péninsule de Iamal, ce qui a entraîné la mort de milliers de rennes arctiques. Ce temps inhabituel (probablement lié au changement climatique) a provoqué la formation d'une épaisse couche de glace – jusqu'à trois centimètres – par-dessus le lichen. De ce fait, il est devenu impossible pour les rennes d'atteindre cet aliment, qui consiste leur principale source de nourriture, lorsqu'ils broutaient les pâturages d'hiver. Dans cet incident particulier, les sabots des rennes morts sont apparus très usés car ils avaient essayé désespérément de gratter le sol afin d’accéder au lichen.
Les schémas de migration du grand troupeau de Taïmyr, qui se trouve à l'extrémité nord de la Russie, ont aussi été affectés par la hausse des températures et l'activité humaine. Les voyages des rennes sont désormais plus périlleux, car ils sont obligés de traverser à la nage des rivières qui ont fondu prématurément. De nombreux petits, en particulier, ne parviennent pas à survivre dans ces conditions difficiles.
Survivront-ils?
Les ours polaires : la capacité d'animaux tels que l'ours polaire à s'adapter à un environnement en mutation est une question sur laquelle les scientifiques ne sont pas d'accord. Pour Koumeleïev, étant donné que le nombre d’individus des espèces menacées est déjà faible (et dans certains cas critique), il est très probable qu'elles ne pourront pas s'adapter.
Néanmoins, pour Kokorine, tout n'est pas sombre pour la plupart de ces animaux vulnérables. En ce qui concerne les ours polaires, il se veut rassurant : même les prévisions les plus pessimistes affirment que cet animal majestueux survivra si l'homme utilise tous les moyens possibles pour les empêcher d'entrer dans les zones habitées (ne pas laisser de nourriture dans les poubelles et les faire fuir au moyen de tirs bruyants). Il s'agit de la principale méthode de leur adaptation au changement climatique. Leur nombre diminuera probablement, mais il sera toujours suffisant pour maintenir une population saine qui « fera la joie de nos petits-enfants et de leurs enfants », affirme Kokorine.
Les morses : en ce qui concerne les morses, nous devons surveiller toute nouvelle colonie, comprendre les problèmes que les morses pourraient y rencontrer et essayer de les démotiver à s'installer dans des endroits où ils seront vulnérables aux attaques des ours polaires, en faisant du bruit par exemple. Bien entendu, nous ne devrions pas trop interférer avec la nature, et ces mesures ne devraient être prises que lorsque le nombre de morses commence à baisser de façon critique.
Les rennes arctiques : selon Kokorine, il survivra très probablement en modifiant ses habitudes de migration. Dans certains endroits, ils changeront leurs schémas de migration au printemps et en automne, tandis que dans d'autres, où le climat change plus rapidement et plus radicalement, leurs schémas de migration se modifieront également en hiver. Lorsque des dégels et des gels hors saison se produisent, les hommes peuvent aider les rennes à briser la glace à l'aide d'outils. WWF Russie a également essayé d'aider les nouveau-nés à traverser les rivières, avec un certain succès.
Les phoques de la mer blanche : ils ne survivront pas si les conditions climatiques continuent à changer, estime Kokorine. Ils n'auront d'autre choix que de se déplacer vers la mer de Barents (ce qui signifie qu'on ne les trouvera plus dans la mer Blanche), ou les gens devront créer des îles de glace artificielles pour eux.
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