Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses

Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses
Semion Michine-Morgenstern/MAAM/MDF/russiainphoto.ru
Peut-être apparu au XVIe siècle, le boulier russe fut largement utilisé en Russie et en URSS au XIXe et XXe siècles. Dans les années 1990, il céda la place aux calculatrices, caisses enregistreuses électroniques et programmes informatiques capables de faire des calculs bien plus compliqués que les quatre opérations arithmétiques élémentaires qu’il permet de faire.

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Quel Occidental en voyage en URSS ne s’est pas étonné de voir dans les magasins les vendeuses compter sur des bouliers ? Si la vitesse avec laquelle elles faisaient glisser les boules venait avec la pratique, elles avaient appris à l’école, comme tous les enfants, à se servir de cette calculatrice uniquement faite de bois et de métal.

Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses
Max Penson/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

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Origines

Il est difficile de dater l’apparition du boulier en Russie. Certains avancent qu’on aurait commencé à s’en servir à l’époque du grand-prince de Moscou Dmitri Donskoï (1350-1389) ; d’autres pensent que les marchands Stroganov l’auraient découvert chez des peuples de Sibérie qui l’auraient eux-mêmes tenu des Chinois ; d’autres, enfin, affirment que les Russes inventèrent leur propre outil de calcul au XVIe siècle.

Toujours est-il que le mot счёты (stchioty), qui pouvait être utilisé au singulier et orthographié счот ou щот, est attesté en 1658 dans l’inventaire des biens du patriarche Nikon (1605-1681) établi en 1658, ainsi que des sources de 1684 et 1692.

Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses Marchand par Boris_Koustodiev (1918)
Musée-appartement d’Isaac Brodsky, Saint-Pétersbourg

Dans le récit intitulé L’État de la Russie sous le Présent Tsar (The State of Russia under the Present Tsar) qu’il fit des quatorze années qu’il passa comme ingénieur en hydraulique au service de Pierre le Grand, le capitaine anglais John Perry (1670-1732) rapportait en 1716 :  

« Ils (les Russes – ndlr) utilisaient un moyen de leur propre invention, à savoir : des perles d’un type particulier enfilées sur des fils attachés à un cadre, quelque chose qui ressemblait à ce sur quoi nos femmes anglaises posent les fers brûlants. Les fils sur lesquels sont enfilées les perles représentent les unités, les dizaines, les centaines, les milliers et les dizaines de milliers. Ils multiplient et divisent en avançant et reculant les perles. C’est une façon de compter lente et qui fait faire des erreurs. Cet instrument est utilisé dans toutes les administrations du tsar. »

Évolution

Les bouliers des XVIIe (?) - XVIIIe siècles qui nous sont parvenus prouvent que cet instrument de calcul subit des évolutions importantes. Ils étaient alors à deux battants et se refermaient comme un livre. Les plus anciens avaient dix rangées (ou lignes) de boules sur le volet gauche (les quatre inférieures étaient divisées en deux parties égales) et huit sur celui de droite (les cinq inférieures l’étaient de même). Autant que l’on puisse en juger, le système était décimal. Sur un boulier du XVIIIe siècle, on voit dix rangées à gauche et quatre divisées en deux à droite (le morceau de bois qui sépare les lignes laisse penser qu’elles étaient cinq).

Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses
Fenêtre sur la Russie

Dans le courant du XIXe siècle, les bouliers acquirent la forme que nous leur connaissions encore à la fin du XXe : un nombre plus ou moins importants de rangées (selon les besoins) de boules enfilées sur des tiges métalliques rigides et légèrement convexes, elles-mêmes fixées à un cadre en bois. Il n’y a pas de fond. La couleur noire de certaines boules sert uniquement de repère.

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Grandeur et décadence

Le boulier doit son succès au développement du commerce et, probablement, à la nécessité de lever plus efficacement les impôts. Mais, toute personne qui devait tenir et rendre des comptes en avait un. C’est certainement avec des bouliers que, dans Oncle Vania d’Anton Tchékhov, Ivan Pétrovicth Voïnitski et sa nièce Sofia Alexandrovna reprennent leurs comptes à la fin de la pièce.

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Semion Michine-Moregenstern/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

À l’époque soviétique et jusque dans les années 1990, on pouvait admirer avec quelle dextérité et vitesse les vendeuses jouaient du boulier ! Seuls les comptables pouvaient se targuer de manier cet instrument aussi bien.

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Igor Gnevachev/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

Dans les années 1990, le boulier fut progressivement mais impitoyablement remplacé par les calculatrices et les caisses enregistreuses électroniques.

Ce fut au cours de cette même décennie que l’enseignement scolaire de l’utilisation du boulier cessa. Jusque-là, les enfants apprenaient dès le primaire à faire les quatre opérations arithmétiques élémentaires sur un boulier. 

Comment s’en servir ?

Addition

Cette opération arithmétique s’effectue du bas vers le haut.

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1re étape : mettre le boulier à 0, c’est-à-dire placer toutes les boules à droite.

2e étape : décomposer le 1er terme de la somme et déplacer les boules nécessaires vers la gauche.

3e étape : décomposer mentalement le 2nd terme de la somme et déplacer les boules nécessaires vers la gauche. Si la somme sur une ligne est supérieure ou égale à 10, laisser à gauche le nombre de boules correspondant au chiffre des unités. À la ligne supérieure, ajouter le chiffre du 2nd terme de la somme plus la retenue faite à la ligne précédente.

Soustraction

Cette opération arithmétique s’effectue également du bas vers le haut.

Objet du mois: le boulier, la calculatrice dont les vendeuses soviétiques étaient virtuoses

1re étape : mettre le boulier à zéro

2e étape : décomposer le 1er terme de la somme et déplacer les boules nécessaires vers la gauche.

3e étape : laisser à gauche la différence. Si le 1er terme est inférieur au 2nd, ajouter 10 au 1er et ajouter une retenue au 2nd terme à soustraire à la ligne supérieure.

Si effectuer des additions et des soustractions avec un boulier est facile (quand on a pris le pli !), faire des multiplications et surtout des divisions est non seulement plus compliqué, mais aussi plus long.

En tapant cчитать на счётах (littéralement : compter sur un boulier) sur un moteur de recherche, vous trouverez sans mal des tutoriels vidéo. L’occasion de faire en même temps du russe et du calcul. À tous nos lecteurs gauchers, nous souhaitons beaucoup de patience et de courage ! Comme ils l’auront compris à la lecture de cet article, si les bouliers ne sont pas spécifiquement faits pour les droitiers (en particulier, ceux dont la boule de gauche sur la rangée supérieure n’est pas noire), les explications pour apprendre à utiliser cette calculatrice sont toujours données pour être compréhensibles des droitiers. Si, à l’école, le coude des gauchers à l’école « gênait » leurs voisins droitiers, on imagine sans peine qu’on les empêchait de poser leur boulier à leur gauche.

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