Comment Napoléon a inondé la Russie de fausse monnaie
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Imprimé à Paris
Dans Guerre et Paix, Léon Tolstoï décrit comment Napoléon a donné des ordres, dont « celui de livrer le plus tôt possible de faux assignats russes préparés pour les importer en Russie ». Et il ne s’agit pas de fiction. L’empereur a réellement utilisé cette tactique et ce n’était pas la première fois : avant l’invasion de l’Empire russe, il avait déjà frappé des pièces de monnaie prussiennes et imprimé des billets de banque anglais et autrichiens.
Selon une version, l’impression de fausse monnaie russe a commencé à l’imprimerie parisienne dirigée par le frère d’un assistant de Napoléon, Monsieur Fain, peu avant l’invasion. Les moules pour l’impression ont été fabriqués par le graveur Lale : en un mois, il a produit sept cents planches de ce type. Personne n’était au courant de leur entreprise, à l’exception du chef de service du ministère de la Police Pierre Marie Desmaret. Ils travaillaient harmonieusement : ils imprimaient de faux billets, les jetaient sur le sol sale et les froissaient – de sorte qu’ils devenaient semblables à de l’argent déjà en circulation.
Selon une autre version, une partie seulement des faux aurait été imprimée à Paris, puis l’imprimerie aurait voyagé jusqu’à Varsovie et Vilna (actuelle Vilnius) pour se rapprocher du territoire ennemi.
Chargés dans 34 wagons, les faux assignats ont accompagné l’armée napoléonienne jusqu’en Russie. Les Français prévoyaient d’utiliser cet argent pour payer la nourriture et le logement, et étaient prêts à imprimer de nouveaux faux. Une légende veut que les vieux-croyants de Moscou aient accueilli Napoléon en tant que libérateur et qu’il leur ait offert une presse à imprimer de campagne. C’est dans le village de Preobrajenski que l’on aurait alors commencé à produire des « roubles ».
Une qualité trop élevée
Seules les personnes très observatrices pouvaient se rendre compte qu’il s’agissait de faux. Cependant, la qualité était supérieure à celle des vrais assignats. D’une part, le papier avait une élégante teinte bleue et, d’autre part, ils avaient été imprimés sur un matériel plus moderne, de sorte que les faux présentaient une disposition plus régulière du texte et du gaufrage ainsi que de bons filigranes. Même le sceau du fonctionnaire présentant une fissure à peine perceptible, qui était apposé sur la vraie monnaie russe, a été amélioré et une gravure a remplacé la vraie signature.
Les faussaires ont toutefois été trahis par les signatures : ils ne connaissaient pas la langue russe, de sorte que leur confusion dans les lettres n’a même pas été remarquée avant émission, alors que de nombreuses erreurs s’étaient glissées dans les inscriptions présentes sur les billets, tel le prénom « Spiridot », au lieu de « Spiridon ».
Inflation galopante
Le plus surprenant est que les officiers de l’armée française recevaient leur solde avec ces mêmes faux. Dès que possible, ils tentaient de s’en débarrasser en les échangeant contre de l’or et de l’argent. En outre, les Français ont ouvert des bureaux de change près du pont Kamenny à Moscou, où les billets de cinq roubles étaient échangés contre un rouble d’argent.
Cependant, même ceux qui acceptaient de leur vendre du fourrage exigeaient des pièces de monnaie plutôt que des assignats en guise de paiement. L’argent papier était trop fortement affecté par les fluctuations du marché financier : en 1797, un rouble en assignats s’échangeait contre 75,5 kopecks en argent. Paul Ier a alors ordonné la destruction de tout le stock de monnaie papier : environ 5 millions de roubles ont été jetés au feu. Néanmoins, même la fonte des précieux services du tsar pour en faire des pièces d’argent n’a rien arrangé. L’inflation en Russie n’a cessé de croître et, au début de la guerre, un rouble en assignats ne valait guère plus de 25 kopecks.
La caisse régimentaire des faux
L’on pense que lors de la retraite de Russie, Napoléon a ordonné la destruction de la fausse monnaie qui n’avait pas encore été mise en circulation. Toutefois, les faux qui étaient déjà en circulation le sont restés, même après la guerre. De 1813 à 1817, l’on en a trouvé pour plus de 5,5 millions de roubles. Et combien sont restés en circulation et se sont simplement retrouvés entre les mains des habitants du pays ? Il est impossible de le savoir. Au cours de la première année qui a suivi la guerre, les banques ont même accepté les faux sur un pied d’égalité avec la vraie monnaie. Les « napoleonovki », comme on les appelait, se sont en outre même retrouvés dans les caisses des régiments des troupes russes revenant de France : environ 300 000 des 1,5 million de roubles se sont avérés être des faux.
Le taux de change des roubles en papier a continué à baisser : en 1815, il était de 20 kopecks d’argent. Le ministre des Finances, Dmitri Gouriev, a par conséquent proposé un plan de sauvetage : remplacer les assignats et créer une société qui serait la seule à imprimer de la monnaie. C’est ainsi qu’en 1818, par décret d’Alexandre Ier, l’Expédition de préparation des papiers d’État a vu le jour : elle émettait du papier-monnaie pour tous les territoires de l’Empire russe, élaborait leur design, créait du papier et imprimait des billets de banque.
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