Cinq éléments de la version américaine du film L’Ironie du sort qui agacent les spectateurs russes
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Le célèbre téléfilm d’Eldar Riazanov est bien plus qu’un classique : le regarder lors du réveillon du Nouvel An est devenu un véritable rituel des fêtes de fin d’année en Russie.
Voici cinq aspects de la version américaine, About Fate, qui irritent les admirateurs de l’œuvre originale.
La nouvelle version a dénaturé l’essence de l’intrigue originale
Les deux films jouent sur l’uniformité de l’architecture des immeubles résidentiels. En URSS, quelle que soit la ville, les bâtiments étaient construits selon des plans identiques et les rues portaient souvent les mêmes noms. Dans la version soviétique, l’histoire commence à Moscou. Le personnage principal, Genia Loukachine, interprété par le talentueux Andreï Miagkov, a l’habitude de se rendre au bania (sauna russe) avec ses amis chaque veille du Nouvel An. Cette fois-ci, ils abusent un peu trop de l’alcool. Ivre, Genia prend par erreur un vol pour Leningrad à la place d’un de ses amis, sans qu’aucun d’entre eux ne s’en rende compte. Arrivé à « son » adresse à Leningrad, il ouvre la porte avec sa clé (toutes les serrures étant identiques) et s’endort, jusqu’à ce qu’il soit réveillé par la véritable propriétaire, Nadia Cheveleva, interprétée par la Polonaise Barbara Brylska, qui n’apprécie guère cette intrusion. Pourtant, au fil de la nuit, ils discutent, passent le réveillon ensemble et finissent par tomber amoureux.
La version américaine se déroule aussi dans un bain public le soir du Nouvel An et le personnage principal, également en état d’ébriété, commet la même erreur fortuite. Griffin (Thomas Mann) et Margot (Emma Robert) habitent dans le même quartier résidentiel de la banlieue de Boston. Ils ne se seraient probablement jamais rencontrés si des amis ivres n’avaient pas donné la mauvaise adresse au chauffeur de taxi en installant Griffin dans la voiture. Toutefois, l’intrigue ne parvient pas à rendre l’idée qui sous-tend le film de Riazanov.
L’Ironie du sort est un film qui explore la solitude de deux individus se sentant à l’étroit dans une vie routinière et prévisible, aussi monotone et grise qu’un grand ensemble d’immeubles. Pour Genia, le rendez-vous annuel au bania avec ses amis est l’un des rares moments où il peut véritablement se libérer. Il est donc compréhensible que ce soit dans ce contexte qu’un « accident » dans son quotidien lui offre la possibilité de recommencer sa vie avec celle qui lui convient. Or, la version américaine réduit ce malentendu à une simple farce.
Les personnages principaux manquent de profondeur et semblent assez superficiels, ce qui rend l’ensemble relativement ennuyeux
Sans encore être entre deux âges, Genia, chirurgien, et Nadia, institutrice, ne sont plus des enfants : ils ont une trentaine d’années chacun. Conformément aux attentes implicites de la société soviétique, il est grand temps pour eux de fonder une famille. Bien qu’ils soient en couple et bénéficient du soutien de leurs parents, ils ne sont pas vraiment amoureux. Cette nuit du réveillon révèle que Genia et Nadia sont en réalité plus complexes, audacieux et fascinants qu’ils ne l’avaient imaginé eux-mêmes. En d’autres termes, Riazanov a réalisé un film qui met en avant des personnages subtils et intelligents, cherchant leur place dans l’immensité de la ville.
La trame du film américain semble suivre de près celle de la version soviétique. L’avocat Griffin et l’agent immobilier Margot ne sont pas heureux avec leur partenaire respectif, mais finissent par se rencontrer et tomber amoureux. Cependant, l’intrigue néglige complètement leur solitude existentielle. À cet égard, la version indienne non-officielle, I Love New Year (2013), est plus fidèle à l’esprit des personnages originaux, en mettant en scène des expatriés indiens aux États-Unis qui peinent à s’adapter à leur nouvel environnement.
Tandis que l’intrigue de l’original se déroule principalement durant la nuit du 1er janvier, celle de la version américaine s’étale sur deux jours
Le scénario de L’Ironie du sort est tiré d’une pièce de théâtre co-écrite par Eldar Riazanov et Emile Braginski, qui a eu un grand succès sur les planches à travers le pays. Le film conserve une certaine « théâtralité », avec presque tous les événements se déroulant à huis clos dans un seul appartement, en temps réel. Nous assistons à l’évolution des émotions, qui passent progressivement de la colère et de l’exaspération à la compassion. La version américaine élargit l’intrigue et ajoute des personnages, ce qui ne ne sert pas le film. Lorsque Griffin se réveille dans l’appartement de Margot, la ressemblance avec la version originale se dissout, laissant place à une succession de clichés de comédies romantiques. Il est dommage qu’About Fate ne soit pas simplement une nouvelle version du film original, mais une autre adaptation de la pièce.
About Fate est tellement édulcoré qu’il en devient mièvre et à peine drôle
La comédie de Riazanov se distingue par ses joutes verbales et ses chansons, encore populaires aujourd’hui, qui lui confèrent un charme et un lyrisme uniques. About Fate se concentre principalement sur le comique de situation et des clichés exagérés. Par exemple, Griffin renverse accidentellement du café sur son pantalon, ce qui donne lieu aux moqueries de ses collègues qui plaisantent sur le fait qu’il se serait uriné dessus. Les tentatives d’humour sur des sujets « d’actualité » sont également mal exécutées. La fiancée de Griffin, influenceuse, est présentée comme une personne superficielle prête à tout pour attirer l’attention. La manipulation évidente du thème du véritable amour, représenté par un couple âgé et séduisant qui intervient à plusieurs reprises pour rapprocher Griffin et Margot, est particulièrement déplaisante.
Le film est dépourvu de toute sensibilité. L’intrigue de la version originale est réduite au simple prétexte d’une comédie médiocre
Le scénario d’About Fate a été rédigé par Tiffany Paulsen, connue pour avoir écrit Holidate, un autre film à succès de comédie romantique produit par Netflix avec Emma Roberts également dans le rôle principal. La campagne promotionnelle n’a fait aucune référence à l’origine russe de l’histoire. En résumé, cette adaptation américaine de L’Ironie du sort représente, pour les Russes, un précédent unique de réinterprétation d’un classique, tandis que pour les Américains, il s’agit simplement d’une énième comédie romantique parmi tant d’autres.
Cette situation est d’autant plus surprenante que de nombreux producteurs russes apparaissent au générique de fin d’About Fate. Le réalisateur, Marius Vaïsberg, est un célèbre metteur en scène russe, qui a déjà travaillé tant en Russie qu’aux États-Unis. Il fait partie d’une famille de cinéastes : son père, Erik Vaïsberg, était le directeur de la photographie, ou plus précisément producteur exécutif, sur le film Le Miroir d’Andreï Tarkovski.
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