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Patrimoine vivant: comment une association bordelaise préserve la mémoire du passé franco-russe

Pourquoi la recherche d’informations sur les traces d’interaction culturelle russo-française est-elle si magique? Quel rôle joue la communication dans tout cela et pourquoi même les faits les plus insignifiants ont-ils de la valeur? Igor Joukovski, professeur de russe et président de l’association Russie-Aquitaine, témoigne d’expéditions insolites qu’il organise depuis de nombreuses années dans différentes régions de France afin de préserver le patrimoine culturel russe dans l’Hexagone.

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Un compositeur russe à Saint-Jean-de-Luz

Igor Stravinsky et Maurice Ravel
Domaine public

Imaginez que vous êtes en vacances à Saint-Jean-de-Luz, une commune située dans le sud-ouest de la France. En marchant entre les maisons blanches aux toitures en tuiles rouges, vous vous dirigez vers la côte atlantique pour profiter de la vue sur la marina. Soudain, vous vous retrouvez au cœur d’une foule joyeuse qui a envahi les rues.

Mais qu’est-ce donc ? Vous n'en croyez pas vos yeux. Ceux qui vous entourent semblent se transformer instantanément en Lilliputiens des Voyages de Gulliver, et au-dessus d’eux, apparaissent les figures gigantesques des grands créateurs du passé. Parmi eux - oh oui, ce n’est pas une erreur ! - se trouve le compositeur russe Igor Stravinsky. Vêtu d’un costume élégant – une chemise blanche et un gilet lui vont comme un gant ! – l’auteur du Sacre du printemps et de L’Oiseau de feu regarde tout le monde avec ses yeux profonds et pensifs.

C’est précisément cette rencontre inattendue que l’un des étudiants des cours de russe organisés par l’association Russie-Aquitaine à Bordeaux a racontée à son professeur, Igor Joukovski. « Bien sûr, Stravinsky n’était pas réel, juste une marionnette aux dimensions inhabituelles, mais nous avons néanmoins été frappés par sa présence à Saint-Jean-de-Luz et nous avons décidé de découvrir comment il s’était retrouvé là », nous raconte Igor.

Igor Joukovski
Archives personnelles d'Igor Joukovski

Il s’est avéré qu’à cette époque, Saint-Jean-de-Luz accueillait un festival consacré à Maurice Ravel, originaire de la ville voisine de Ciboure. Ravel et Stravinsky étaient tous deux membres du cercle musical parisien des Apaches. Ce Français et cet émigré de l’Empire russe étaient très proches, unis par une passion commune pour la musique. Ils passaient souvent leurs vacances d’été dans le sud-ouest de la France. « Après avoir appris tout cela, il n’est pas du tout surprenant que Stravinsky ait décidé de rendre visite à Ravel dans sa petite patrie », explique Joukovski en souriant.

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Expéditions culturelles et apprentissage de la langue russe

Archives personnelles d'Igor Joukovski

L’histoire de l’apparition à Saint-Jean-de-Luz du compositeur russe n’est qu’une des nombreuses qu’Igor Joukovski a découvertes par hasard lors de son séjour en France. Lui et son épouse, Antonina, se sont installés dans l’Hexagone dans les années 1990. Sous contrat avec le ministère français de l’Éducation nationale, ils ont enseigné la langue de Pouchkine dans des universités. Passionnés par la culture russe, ils ne pouvaient pas passer à côté de tels trésors culturels.

« Nous avons pensé que nous pourrions organiser quelque chose de similaire aux expéditions culturelles dans des lieux associés au séjour d’immigrants russes célèbres en France, nous a confié Igor. Nos étudiants ont accueilli cette idée avec enthousiasme et depuis lors, nous voyageons constamment dans différents coins de l’Hexagone pour recueillir des informations sur les traces de la présence russe ».

Avec le temps, ces voyages ont donné naissance au projet Langues vivantes / Patrimoine vivant - une sorte de catalogue des lieux de présence culturelle russe à l’étranger et, en même temps, de manuel de russe, puisque chaque vidéo réalisée à partir de matériaux collectés lors de ces expéditions est accompagnée d’une transcription dans la langue de Pouchkine, permettant ainsi à chaque spectateur de vérifier sa bonne compréhension du discours russe. Cette initiative culturelle implique également des bénévoles d’autres pays.

Magie de la сommunication

Selon Joukovski, au cours de ces recherches, ils parviennent souvent à trouver des informations très rares qui ne peuvent être obtenues ni à la bibliothèque ni sur Internet. Tout est dans la communication spontanée avec différentes personnes qui partagent leurs expériences et leurs réflexions sur leur vie familiale. « C’est comme de la vraie magie, sourit Igor. Il y a encore peu de temps, vous ne saviez rien, mais soudain, tout se met en place et on découvre des couches culturelles à couper le souffle ».

Villa Marguerite d’Arcachon hier et aujourd’hui
Domaine public ; Archives personnelles d'Igor Joukovski

Par exemple, alors qu'Igor explorait les villas d'Arcachon, où la mécène de Piotr Tchaïkovski, la baronne Nadejda von Meck, passait ses vacances d'été, il a découvert tout à fait par hasard que, juste sous son nez, comme on dit, il y avait une source très importante, dont il ne soupçonnait même pas l'existence.

Nadejda von Meck
Domaine public

« Au cours d'une conversation, un de mes étudiants a mentionné qu'il connaissait personnellement le petit-fils de la baronne, Jean-Pierre. Fasciné par l'histoire de sa famille, il était également allé à Arcachon et a pu m'éclairer sur certains points concernant le séjour de la famille von Meck dans la ville », nous a confié Joukovski.

Participation et partage

Joukovski est sûr que le secret principal de la popularité des expéditions culturelles auprès de ses élèves réside dans le sentiment de participation à la préservation du patrimoine culturel russo-français qu’elles procurent. « Participer est toujours beaucoup plus intéressant que de rester en retrait », dit-il, rappelant l’édition 2017 du festival Années Folles à Biarritz.

Festival Années folles à Biarritz
Archives personnelles d'Igor Joukovski

Pour cet événement d’envergure, l’une des élèves d’Igor, couturière professionnelle, a confectionné environ 300 costumes historiques, qui ont été portés par les Joukovski et d’autres membres de l’Association Russie-Aquitaine. « Selon l’idée des organisateurs, nous avons joué les rôles de membres de la famille Romanov, qui avaient visité Biarritz à de nombreuses reprises. On nous a fait monter dans une calèche et on nous a conduits à travers le centre-ville, raconte Igor. C’était une expérience incroyable ».

Outre la participation, Igor accorde une grande importance au partage. « Si vous avez appris quelque chose de nouveau et d’intéressant, n’hésitez pas à la partager », dit-il, et c’est, pourrait-on dire, la devise de tout le projet d’expéditions culturelles.

Avec sa collègue de Paris, Olga Montmartre, Joukovski travaille sur un livre consacré aux sites du patrimoine culturel russe en France, dont la publication est prévue chez la maison d’édition Zlatoust. Comme vous l’avez peut-être déjà deviné, ce sera également un manuel de russe, offrant aux lecteurs des exercices de vocabulaire et de grammaire.

Joukovski estime que lorsque l’on parle d’interactions culturelles, même les faits les plus insignifiants ne peuvent être ignorés. « L’histoire d’une petite plaque commémorative, cachée aux passants par le lierre, peut être aussi passionnante que celle d’une immense villa, dit-il. Dans la vie, tout est important, tout a un sens ».

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