Nikolaï Igoumnov, l’entrepreneuriat dans le sang
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Le marchand Nikolaï Igoumnov laissa son nom à la demeure qui, depuis la fin des années 1930, est celle des ambassadeurs de France en URSS puis en Russie. Il fut aussi l’un des précurseurs de la production d’agrumes en Abkhazie où il s’installa contraint et forcé en 1901.
La richesse en héritage
Nikolaï Vassiliévitch Igoumnov naquit à Moscou en 1855 dans une famille de marchands de la 1re Guilde, c’est-à-dire les plus riches de l’Empire russe. Comme beaucoup de dynasties d’entrepreneurs russes, les Igoumnov étaient vieux-croyants. Nikolaï Vassiliévitch sut faire fructifier l’héritage qu’il tenait de son père : entre autres, la Grande Manufacture textile de Iaroslavl fondée en 1722 sur l’ordre de Pierre le Grand, de mines d’or en Sibérie, de comptoirs de vente de fourrures.
Sur une parcelle que sa famille possédait dans le quartier, peu prestigieux à la fin du XIXe siècle, de Iakimanka à Moscou, Nikolaï Igoumnov se fit construire une résidence. Il fit appel à Nikolaï Pozdeïev, un architecte installé à Iaroslavl, ville que le marchand connaissait bien.
Nikolaï Igoumnov n’hésita pas à dépenser beaucoup d’argent pour faire ériger cette résidence dans le style néo-russe. Les briques furent importées des Pays-Bas, les éléments décoratifs en faïence furent fabriqués dans les ateliers de Matveï S. Kouznetsov, les parquets des pièces de réception sont en ébène. Le mobilier fut réalisé par des ébénistes.
Nikolaï Igoumnov organisait régulièrement dans sa nouvelle résidence des bals où se retrouvaient les gens fortunés de Moscou. En 1901, pour épater plus encore la galerie, il fit répandre sur le sol de la salle de bal des pièces d’or de dix roubles frappées cette année-là (pour comparaison, un médecin touchait en moyenne quatre-vingts roubles par mois). Le lendemain, une personne bien intentionnée alla raconter à la police que l’effigie de Nicolas II avait été piétinée lors de cette réception. Le scandale fut immédiat et terrible. L’empereur confisqua sa résidence de Iakimanka à Nikolaï Igoumnov qu’il relégua dans le village abkhaze d’Alakhadzy avec interdiction de reparaître à Moscou et Saint-Pétersbourg.
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Les plantations de fruits exotiques
Nikolaï Igoumnov ne fit pas grand cas de sa disgrâce et ne se laissa pas abattre. Il acquit des terres non cultivables dans les environs de Pitsounda, y fit planter des eucalyptus et des cyprès des marais pour assécher les sols. En attendant que ces arbres fassent leur œuvre, le marchand fonda une entreprise de pêche.
Lorsque les terrains furent asséchés, Nikolaï Igoumnov y fit étendre du tchernoziome qu’il avait fait venir de la région du Kouban. Il fit ensuite planter des arbres qui donnent des fruits considérés comme exotiques à l’époque : agrumes, dont des mandarines, kiwis, mangues. Il développa également la culture de tabac et de plantes médicinales.
Pour attirer des ouvriers agricoles sur ses terres, Nikolaï Igoumnov pratiqua une politique paternaliste : il fit construire des foyers pour les hommes célibataires et des maisons individuelles pour les familles.
Après l’arrivée des bolcheviks au pouvoir, Nikolaï Igoumnov fit partir sa famille en Europe. Lui-même resta en Abkhazie puis transmit volontairement la propriété de ses terres à l’État. Elles devinrent le Sovkhoze d’Agrumes IIIe Internationale. Nikolaï Igoumnov y travailla comme agronome jusqu’à sa mort en 1924.
Après la Révolution d’Octobre, la résidence de Nikolaï Igoumnov dans le quartier moscovite de Iakimanka fut transformée en foyer pour les ouvriers de la Monnaie, abrita successivement l’Institut de transfusion sanguine et celui du cerveau. Depuis 1938, elle accueille l’ambassade de France en URSS puis en Russie.
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